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samedi, mai 23, 2009

Entrevista a Alain Badieu

Después del temblor de ayer, lluvia y frío... brrrr... Me levanto, leo Le monde, una entrevista a Alain Badieu (filósofo y escritor) que cuelgo en la cual habla de Sartre. Siempre rozo la idea de que solo en Francia hay una relación espontánea entre la vida cultural y la vida cotidiana. Atención cuando A.B habla de la novela como el suelo democrático fundamental...

En tant que philosophe, je ne peux rendre raison du roman"

LE MONDE DES LIVRES 21.05.09 14h05 • Mis à jour le 21.05.09 14h05

Commençons par ce paradoxe : en tant que philosophe, vous vous réclamez de Platon, dont le geste fondateur fut de bannir les poètes et les artistes hors de la Cité ; mais en tant qu'auteur, le premier livre que vous avez publié s'intitulait Almagestes (Seuil, 1964), et c'était un roman. Comment comprendre cette tension ?

A.B:Dans les années 1950-1960, mon maître absolu, c'est Sartre. Et à travers lui, la grande tradition française de l'écrivain-philosophe. Or, dans Les Mots, l'écrivain est premier, la philosophie est une sorte de pis-aller. A l'époque, je fais des études de philosophie, mais mon ambition est littéraire, et mon premier passage à la télé, chez Pierre Dumayet, c'est pour Almagestes. Au fond, il y a cette idée française que la vraie gloire est littéraire. La gloire philosophique est allemande, ou académique. C'est pourquoi Merleau-Ponty n'a jamais pu prétendre à la puissance de rayonnement de Sartre. Quant au paradoxe que vous soulignez, c'est-à-dire un Platon qui commence par la littérature, il faut voir que c'était le cas de Platon lui-même. On dit qu'il aurait d'abord écrit des tragédies avant de les brûler. Moi, je n'ai rien brûlé... Et puis mon platonisme inclut une rectification importante : si Platon s'en prend aux poètes, c'est qu'il identifie activité artistique et production d'images, d'illusions, de faux-semblants. Je pense que c'est faux : l'art ne produit pas seulement des images, il crée également une dialectique de la vérité.

Là encore, il y a chez vous une équivoque. Dans certains livres, par exemple dans Petit manuel d'inesthétique (Seuil, 1998), vous dites que l'art est seul capable de produire des vérités, et que la philosophie n'est là que pour les exhiber : d'où l'image de la philosophie comme "maquerelle du vrai". Dans d'autres textes, notamment dans Beckett - L'Increvable Désir (Hachette littératures, 1995), c'est l'inverse : la poésie ou le roman ont pour vocation de décrire les questions pensées par la philosophie...

A.B: Oui, il y a une réelle équivoque en ce qui concerne non pas tant la différence entre philosophie et littérature, mais la nature exacte de leur relation. D'un côté, je soutiens que la littérature est une procédure de vérité ; de l'autre, je l'utilise à des fins de didactique philosophique : je convoque tel fragment de poème, telle analyse de roman, pour utiliser la puissance de l'art au service de la philosophie. Ainsi, ma catégorie d'"événement" vient en partie de Mallarmé. Mais en même temps, j'utilise Mallarmé pour exposer cette catégorie. La didactique philosophique utilise l'art pour présenter ses concepts. Entre parenthèses, Platon lui-même ne s'en prive pas du tout...

S'il fallait trancher, accepteriez-vous de définir les écrivains comme les véritables créateurs du Vrai, et les philosophes, donc, comme des seconds couteaux ?

A.B: Il y a une dépendance de la philosophie, j'en suis convaincu. Des civilisations entières ont pu en faire l'économie. Alors, il faut accepter d'être un "second couteau"... Mais aussi considérer les immenses effets en retour de la philosophie, surtout dans les périodes de transition, quand se produit un changement dans le régime des vérités. Au XVIIIe siècle, écrivains et philosophes ont inventé une nouvelle forme de la critique, et il est difficile de dire qui y a le plus contribué. Dans le cas de Rousseau, l'importance du Contrat social est flagrante, mais celle de La Nouvelle Héloïse l'est au moins autant. Aujourd'hui, nous connaissons une période intervallaire, qui explique à la fois l'importance grandissante de la philosophie et la difficulté où se trouve la littérature, entre les anciennes conceptions avant-gardistes et la volonté de revenir à quelque chose de plus descriptif. Connaître les principaux courants de l'art littéraire est devenu ardu. Depuis le Nouveau Roman, dernière école constituée, la situation est extrêmement obscure, incertaine. Comme Ibsen le faisait dire à Julien l'Apostat : l'ancien n'est plus, le nouveau n'est pas encore.

Entre littérature et philosophie, la circulation paraît difficile. Vous-même avez écrit des romans, mais aussi des pièces de théâtre. Pourtant, les lecteurs connaissent essentiellement vos ouvrages de philosophe.

A.B: Oui, car autrefois ce qui servait de médiation entre la philosophie et la littérature, c'était la théorie, les manifestes littéraires. Aujourd'hui, on manque de ce type de textes éclatants, dont on puisse s'emparer pour faire médiation. Moi-même, je fréquente la littérature contemporaine, je lis Jacques Roubaud, je lis Jean Echenoz, je lis Natacha Michel, comme tout le monde, mais je suis incapable d'en faire un usage philosophique. Cette difficulté de circulation est le propre des périodes de transition, où la disjonction des procédures de vérité est alors maximale. Platon circulait entre la poésie et les maths. Ce serait mon rêve, mais je le fais au sein d'espaces assez anciens, entre Cantor et Gödel, entre Mallarmé et Beckett, et c'est sans doute une carence de ma part.
Dans vos livres de philosophie, quand vous faites appel à des oeuvres littéraires, il s'agit généralement d'un poème ou d'une pièce de théâtre. Comme si la forme romanesque résistait à votre démarche...

A.B: Je suis un amoureux du roman, j'en lis énormément. Mais je n'ai pas trouvé le bon régime de citation du romanesque en philosophie. Au sein du texte philosophique, quand on parle d'une chose, il faut la donner à toucher au lecteur. Lorsque je présente de la mathématique ou de la poésie, je cite la forme. Que faire pour le roman ? On est toujours en train de raconter l'histoire, on passe par des considérations métapsychologiques sur l'auteur... ce qui est un rapport faible au roman. Celui que j'admire le plus, c'est Guerre et paix, de Tolstoï. Pourtant, il m'est très difficile d'en parler. En tant que philosophe, je ne peux rendre raison du roman.

Dans le recueil intitulé Conditions (Seuil, 1992), vous étudiez la "méthode" de Rimbaud, celle de Mallarmé aussi, et vous y repérez un même mouvement d'"impatience". A vous lire, il y a là un élan commun à la poésie créatrice et à la pensée rebelle. Selon vous, quel est le lien entre acte littéraire et politique d'émancipation ?

A.B: Dans le romanesque proprement dit, il y a un élément démocratique fondamental : une conception non hiérarchique des existences, selon laquelle tout le monde a sa chance. Dans un grand roman, ce qui est déployé, c'est la vie humaine en tant qu'elle distribue la chance de vivre, aux uns et aux autres, de façon égalitaire. En ce sens, il existe une proposition archidémocratique sous-jacente à tout roman. Même si, bien sûr, je pense que les formes romanesques adéquates pour faire vivre ce principe sont aujourd'hui en chantier...

Vous-même, vous y travaillez ?

A.B: Je m'inclus dans ce verdict. On fait ce qu'on peut... Mais je suis frappé de voir que la tradition américaine a conservé quelque chose de cela. Ainsi Richard Ford cherche-t-il à capter ce qui subsiste de liberté chez l'Américain ordinaire. Il renoue avec le souci balzacien, avec la Cousine Bette : ici, quelle que soit la vulgarité apparente des personnages, quelles que soient aussi les contraintes sociales, quelque chose leur est donné qui est la chance du désir, une énergie désespérée à exister quand même... Ça, c'est plus fort que tous les jugements de valeur, c'est le vrai rapport au roman.

Alain Badiou est l'un des philosophes français les plus commentés de par le monde. Dans ses livres, il mobilise souvent les mathématiques, mais il aime aussi se tourner vers la littérature. Lui-même auteur de romans et de pièces de théâtre, cet intellectuel engagé manie les textes de Mallarmé, de Beckett ou de Sartre afin d'y puiser non seulement une écriture de la vérité, mais aussi une politique d'émancipation.
Propos recueillis par Jean Birnbaum

Ps. Para los que deseen leer y no hayan podido, cuelgo la entrevista que me hicieron en el diario El comercio (Lima), sobre la reedición de El último cuerpo de Úrsula y que he recuperado amablemente un blog español: http://www.elcomercio.com.pe/impresa/notas/cuerpo-patricia/20090517/287548

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